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L’édition musicale à Paris au xviiie siècle

La première édition musicale gravée française paraît en 1660. La technique dominante à l’époque est toutefois l’impression en typographie, dont le privilège exclusif était détenu par la famille d’imprimeurs Ballard. Avec l’essor de la gravure en musique, qui n’était pas limitée par le privilège des Ballard, la France et surtout Paris deviennent l’épicentre de l’édition musicale. À partir des années 1740, nous trouvons aussi, parmi les nombreuses éditions musicales publiées à Paris, des œuvres d’auteurs originaires de l’Europe centrale.

Où exerçaient les éditeurs parisiens ?

Le plan de Paris montre la localisation des principaux éditeurs de musique parisiens entre 1740 et 1800. Les noms de ceux qui ont publié de la musique d’auteurs d’Europe centrale sont en majuscules, les autres en minuscules ; tous sont suivis de leurs dates d’exercice à l’adresse en question. Les emplacements exacts des adresses ne sont jamais connus. Les points violets représentent ceux qui peuvent être situés assez précisément ; quand l’emplacement dans la rue ne peut pas être déterminé, seule la rue est surlignée. Lorsque l’enseigne est connue, elle est indiquée entre guillemets avant le nom de l’éditeur.

Jacques Esnault, Michel Rapilly : Nouveau plan routier de la ville et faubourg de Paris. Paris : Esnault & Rapilly, 1782. Gravure, 77 × 55 cm, échelle [Cinq cent toises [= 0m, 100 ; 1 ; 9600 environ]. BnF, département Cartes et plans, GE C-9031
(© gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France).



L’Almanach musical publié de 1775 à 1783 donne les adresses des compositeurs et des maîtres de chant et d’instruments, mais aussi des différentes professions participant à l’édition et à la diffusion de la musique, parfois avec des remarques instructives : marchands de papier réglé, copistes, potier d’étain − « on grave la musique sur le cuivre & sur l’étain ; sur cuivre, elle est plus nette, plus belle, & l’on peut en tirer plus d’épreuves, mais on préfère communément l’étain, parce qu’il en coûte la moitié moins » −, graveurs, imprimeurs en taille-douce, fondeurs de caractères, imprimeurs, marchands de musique − « On a pu voir dans la liste de MM. les auteurs, quels étoient ceux qui faisoient vendre leurs ouvrages chez eux. […] Les éditeurs sont ceux qui ont fait graver des ouvrages de musique, & qui ne tiennent chez eux que la musique de leur fonds. Les marchands sont ceux qui ne se bornent pas à la musique de leur fonds, & tiennent un magasin assorti de celle des auteurs, des éditeurs & des autres marchands ».



Almanach musical pour l’année 1779, p. 208-209.

Comment faire une gravure :

La gravure en taille douce, Musée de La Poste, 15 mars 2024. 

Cousineau

Simon-Charles Miger. J. G. Cousineau, dessiné par C.-N. Cochin. [Paris], 1786. Estampe à l’eau-forte et au burin. BnF, département de la Musique, Est. Cousineau 001 (© gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France) 

Nombre de ces éditeurs et marchands exerçaient dans des proportions variées d’autres activités dans le domaine musical : composition, exécution, enseignement, facture et vente d’instruments. La palme de la polyvalence semble revenir à Jacques-Georges Cousineau, dit Cousineau fils pour le distinguer de son père Georges (voir le catalogue).

Voici comment sonne la harpe de Cousineau :

Jean-Baptiste Krumpholtz. Première sonate comme scène pathétique, op. 16. Maria Christina Cleary – harpe (G. Cousineau, avant 1767), Davide Monti – violon. (© Maria Christina Cleary) 

Certaines nouvelles parutions sont signalées dans la presse quotidienne au milieu d’annonces de toutes sortes. Dans une publication mensuelle comme le Mercure de France, elles peuvent au contraire être regroupées dans une rubrique dédiée.

Annonces
Annonces, affiches et avis divers, 13 juin 1776, p. 587.

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Journal
Journal de Paris, 27 mars 1780, p. 359.

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Mercure
Mercure de France, 1er Septembre 1777, rubrique Musique, p. 178.

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Nombre d’exemplaires des éditions parisiennes de cette époque proposent, généralement au verso de la page de titre de la partie principale (instrument soliste des œuvres concertantes, premier violon pour la musique symphonique ou la musique de chambre pour cordes, clavier…), le catalogue des publications disponibles chez l’éditeur ou des œuvres vendues par l’auteur.

Ils comprennent un certain nombre de cases correspondant à différents genres ou effectifs, dans lesquelles le graveur ajoute régulièrement les nouvelles parutions jusqu’à ce qu’il soit nécessaire de graver un nouveau catalogue faute de place pour les ajouts. On peut ainsi classer par ordre chronologique les différents exemplaires d’une même édition, voire peut-être (s’ils sont en nombre suffisant) estimer la fréquence des réimpressions. 

Catalogue Huberty

Catalogue de toutes sortes de musique vocale et instrumentale qui se vendent chez M. Huberty. Inséré dans : Johann Baptist Vanhal. Six Quatuors à deux violons, alto et basse, op. 6. Paris : Huberty, 1771. BnF, département de la Musique, AC E4-66 (© gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)

Johann Baptist Vanhal. Quatuor à cordes, op. 6, no 6 en si bémol majeur, I. Allegro. Le Butter Quartet, en direct, 2 octobre 2021. (© France Musique) 

Les pages de titre suivent toutes le même modèle. Le titre, en français ou parfois en italien plus ou moins correct, vient en premier. Toutefois, il peut être précédé de la mention « Du répertoire du Concert spirituel » ou « Du répertoire de la Loge olympique » ou d’une numérotation, parfois complétée à l’encre

Puis viennent le cas échéant les noms des dédicataires, avec pour les aristocrates la liste de leurs titres. Suit le nom du compositeur, parfois accompagné de son prénom, généralement francisé ou italianisé. Les fonctions qu’il occupe ne sont pas non plus systématiquement mentionnées. Parfois l’éditeur ajoute ici la formule « Mis au jour par M. [son nom] » pour souligner qu’il s’agit d’une œuvre jamais encore gravée à Paris. 

On trouve ensuite la mention du prix exprimé en livres tournois (lt), sols (s.) et deniers (d.) et corrigé à l’encre sur certains exemplaires, et enfin, tout en bas de la page, la liste des adresses où l’on peut acheter la publication. Les points de vente ne se limitent pas toujours à Paris : on rencontre souvent les noms des Lyonnais Castaud et les frères Le Goux, et plus rarement des adresses dans d’autres villes.

La mention « Avec privilège du Roy » ou « A.P.D.R. » figure parfois abusivement au bas des pages de titre d’éditions non protégées par un privilège.

Le seul élément dont l’emplacement ne soit pas fixe est le nom du graveur (souvent une graveuse) : on le rencontre souvent à la suite du titre, juste avant la mention du prix, mais parfois en dernière position, en ce cas éventuellement accompagné du nom de l’imprimeur, beaucoup plus rarement cité.

Kohaut

Karl Kohaut. Simphonie périodique a piu stromenti. No 46. Paris : La Chevardière, 1763, page de titre. BnF, département de la Musique, H-273 (A-C). (© gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France) 

Concert

Antonio Rosetti. Deux simphonie à deux violons, deux alto et basse… op. 6. Paris : Sieber, 1790, page de titre. BnF, département de la Musique, H-174 (A-H).. (© gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France) 

Stamic

Johann Stamitz. Concerto de violon à plusieurs instrumens, op. 9. Paris : La Chevardière, 1776, page de titre. BnF, département de la Musique, K-6120.  (© gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France) 

Vanhal

Johann Baptist Vanhal. Simphonie périodique à plusieurs instruments, no 3. Paris : Jolivet, 1775, page de titre. BnF, département de la Musique, H-154 (A-H). (© gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France) 

Vari autori

Georg Christoph Wagenseil. Sinfonie a più stromenti composte da vari autori, no 9. Paris : Venier, [ca 1760], page de titre. BnF, département de la Musique, H-119. (© gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)

KARL KOHAUT
Sinfonia à 3 en mi bémol majeur (KK III:9), 12’49 min

Karl Kohaut. Sinfonia à 3 en mi bémol majeur (KK III:9) : I. Allegro moderato, II. Largo, III. Allegro spiritoso.
Musica Florea, dir. Marek Štryncl, 2023 (© Musica Florea; ℗ Český rozhlas)  

Pour l’article de l’Encyclopédie sur la gravure de musique et les exemples qui l’illustrent, Diderot et D’Alembert firent appel à Marguerite de Lusse, née Vendôme (avant 1731-après 1774), une des filles de Madame Vendôme. L’article et ses illustrations décrivent les outils utilisés pour la gravure en musique : divers poinçons en forme de clé ou de notes de longueur variée, des outils à tracer les portées, des poinçons à numéroter les planches. 

Denis Diderot, D’Alembert. Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers.
Paris : Briasson, 1751-1780, Planches t. 5, pl. II et p. 3. (© gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France) 

En revanche, les commentaires sur l’imprimerie en taille-douce ne sont pas signés. 

Tisk
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Denis Diderot, D’Alembert. Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Paris : Briasson, 1751-1780, Planches t. 7, pl. I et II et commentaire.
(© gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)

 L’impression en taille-douce

Pour aller plus loin :

Anik Devriès-Lesure a rassemblé les annonces des parutions de musique dans la presse parisienne au xviiie siècle. Ce travail remarquable permet d’avoir connaissance d’ouvrages aujourd’hui perdus ou de dater ceux qui nous sont parvenus.

Avec son mari François Lesure, elle a publié un dictionnaire des éditeurs de musique français des origines à 1914, qui lui aussi reste irremplaçable. 

Sarah Noemi Schulmeister a consacré sa thèse de doctorat à Antoine Huberty, éditeur d’origine flamande qui exerça à Paris et plus tard aussi à Vienne et compte parmi les éditeurs de nombreuses œuvres des compositeurs viennois.  

Les trois favoris des Parisiens

L’exposition est réalisée par

Bibliothèque de Moravie (Moravská zemská knihovna v Brně ‒ MZK) et la Bibliothèque nationale de France (BnF) 

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