François-Hubert Drouais. Mesdames Victoire, Sophie et Louise. L’huile sur toile. Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon, no d’inventaire : MV 4459 / INV 4141 / B 880. (© GrandPalaisRmn (Château de Versailles) / Daniel Arnaudet| Jean Schormans)
Le Catalogue de la musique imprimée avant 1800 conservée dans les bibliothèques publiques de Paris publié sous la direction de François Lesure en 1981 recense 37 noms de compositrices dont des œuvres ont été publiées à Paris entre 1740 et 1800, parmi lesquelles 34 françaises et seulement 3 étrangères : l’Anglaise Jane Mary Guest, l’Allemande de Mannheim Franziska Lebrun, née Danzi, et l’Italienne Maddalena Lombardini Sirmen. À l’exception de cette dernière, virtuose du violon dont l’œuvre est centrée sur les cordes, toutes ces compositrices exercent leurs talents dans un petit nombre de domaines : la musique dramatique, la romance accompagnée de piano, de harpe ou de guitare et la musique pour clavier ou pour harpe avec ou sans accompagnement.
Maria Theresia von Paradis. Fantasie in G pour piano. Amanda Gessler (piano).
Journal de Paris, 24 décembre 1779, p. 1463.
D’autres, souvent issues de familles de musiciens, mènent une carrière professionnelle et le Concert spirituel permet d’entendre nombre de solistes féminines tant françaises qu’étrangères, en plus naturellement des cantatrices. Parmi elles, une mystérieuse Mlle Pokorny, dont le nom révèle une origine tchèque plus ou moins proche, se produit le 24 décembre 1779 dans un concerto pour cor de Punto, lors d’un concert dont le programme fait la part belle aux solistes féminines.
Six mois plus tard, ce sont deux « celebrated Miss Pokornys » qui se font entendre à Londres dans des duos et concertos pour cors, puis disparaissent sans laisser d’autre trace. À partir de 1811 et 1877 respectivement, la plupart des ouvrages de référence font de l’énigmatique corniste la fille du compositeur Franz Xaver Pokorny (1729-1794) et la prénomment Beate − deux affirmations apparemment sans fondement historique. Sa parenté avec les autres Pokorný musiciens actifs à l’époque en Bohême et en Moravie reste à explorer.
Certaines musiciennes enseignent leur instrument. Parmi les maîtresses de clavecin actives en 1765, Hélène-Louise Venieri, née Mars, a pour mari l’éditeur de musique d’origine vénitienne Jean-Baptiste Venier.
État ou Tableau de la ville de Paris, nouvelle édition. Paris : Prault, Duchesne, 1765, p. 188.
Les femmes qui apparaissent comme dédicataires recoupent souvent les catégories précédentes. Beaucoup appartiennent à l’aristocratie voire à des familles régnantes, ou jouissent d’un statut social plus élevé que le compositeur. Ainsi le jeune Mozart dédie-t-il ses deux sonates op. 1 (KV 6-7) à Madame Victoire, une des filles de Louis XV, excellente musicienne comme ses sœurs Mesdames Henriette, Adélaïde et Sophie et leur nièce Madame Élisabeth. Le département de la Musique conserve de nombreuses partitions reliées aux armes de ces princesses, parmi lesquelles l’exemplaire présenté ici, probablement celui même que le compositeur présenta à Madame Victoire à Versailles début mars 1764.
Wolfgang Amadeus Mozart. Sonates pour le clavecin qui peuvent se jouer avec l’accompagnement de violon, op. 1. Paris : aux adresses ordinaires, 1764, page de titre et épître dédicatoire. BnF, département de la Musique, RES-866. (© gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)
Wolfgang Amadeus Mozart. Sonate en ré majeur pour clavecin avec accompagnement de violon, op. 1, no 2 (KV 7). Blandine Verlet (clavecin), Gérard Poulet (violon).
(℗ 1975 Philips Classics)
François Jean Wondradscheck. Sonates pour le clavecin avec accompagnement de violon ad libitum, op. 4. Paris : aux adresses ordinaires, 1771, épître dédicatoire. BnF, département de la Musique, AC P-2543 (© gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)
L’épître dédicatoire des sonates de Mozart est rédigée, comme souvent, en termes assez vagues : le jeune musicien (ou plutôt celui qui lui prête sa plume, probablement le baron Grimm) se borne à remercier la princesse de ses bienfaits non précisés.
Exceptionnellement, celle des sonates op. 4 de Wondradscheck nous apprend qu’elles ont été composées spécialement pour son élève Mademoiselle Du Bourdieu. Krumpholtz, lui, dédie plusieurs de ses concertos à Anne Marguerite Steckler, son élève (puis sa seconde femme) et son interprète privilégiée − un type de dédicace plus rare à l’époque.
Pour les œuvres de compositeurs actifs à l’étranger, deux cas se présentent. Lorsque l’éditeur parisien réimprime une édition parue à Vienne, il conserve la dédicace d’origine. En revanche, c’est évidemment l’éditrice Mademoiselle de Silly qui dédie à Madame d’Alleray (peut-être la femme du lieutenant civil de Paris) un recueil de trois symphonies de Haydn, dont la première (Hob. I:D12) est en réalité de Giuseppe Sarti…
Les musiciennes font à présent l’objet de nombreux travaux visant à réévaluer leur place dans l’histoire de la musique. Parmi les outils facilement utilisables en ligne, citons le service Demandez à Clara de l’association Présence compositrices, consacré aux seules compositrices, et le dictionnaire des femmes instrumentistes des xviiie et xixe siècles proposé par le Sophie Drinker Institut de Brême.
Mais si vous préférez vous tourner vers l’avenir, nous vous proposons d’enchaîner sur notre précédente exposition, consacrée à Antoine Reicha (1770-1836), en écoutant la première œuvre qu’il ait fait jouer à Paris.
Wenceslaus Wodiczka. Sonate n° 1 en si bémol majeur des Sei sonate a violino solo e basso, op. 1 (1739). I. Largo. Bohuslav Matoušek (violon), Jaroslav Tůma (clavecin), Petr Hejný (basse de viole) (℗ 2000 Bella Musica).
Antoine Reicha. Symphonie en mi bémol majeur, op. 41 (Paris, 1799). Musica Florea, dir. Marek Štryncl. (℗ 2010 Marek Štryncl & Musica Florea).
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