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Origines et identités retrouvées

Les biographies des musiciens des périodes anciennes peuvent contenir nombre d’erreurs ou d’incertitudes qui proviennent soit d’une interprétation erronée des sources archivistiques conservées, soit des penchants romanesques des lexicographes musicaux, qui pallient ainsi le manque de documents disponibles. Nous pouvons ainsi trouver de telles biographies même dans des encyclopédies musicales renommées, celles-ci les ayant souvent reprises de dictionnaires plus anciens. La préparation de la présente exposition fut l’occasion de se concentrer plus en détail sur les biographies de certains musiciens ou sur des œuvres avec conflit d’attribution. Des sources archivistiques et musicales récemment découvertes ou mises en contexte ont permis d’élargir le cercle de musiciens provenant de pays de la Couronne de Bohême et dont la musique a été connue en France ou qui y ont directement exercé. En même temps, ces nouveaux documents corrigent des erreurs biographiques qui se sont perpétuées pendant longtemps en passant d’une encyclopédie musicale à l’autre.

Wenceslas Schobert. Sonate IV pour le clavecin avec accompagnement de violon et basse, op. 16. The Four Nations Ensemble : Andrew Appel (clavecin), Ryan Brown (violon), Loretta O’Sullivan (violoncelle).

Thomas Brodsky. Trois Sonates pour le clavecin ou le piano-forte avec accompagnement d’un premier et second violon et violoncelle, op. 2. Bruxelles : Van Ypen et Pris, 1776, page de titre. BnF, département de la Musique, VM7-5364. 
gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)

Thomas
Brodsky

Le fait qu’un nom à consonance tchèque n’implique pas forcément une origine claire et démontrable est mis en évidence, entre autres, par une confusion entre les destins de trois musiciens, que nous pouvons trouver dans des dictionnaires musicaux anciens. Il s’agit de l’organiste Thomas Brodsky, qui exerça dans l’actuelle Belgique de 1760 à 1783 et dont on n’a pas réussi à retrouver la véritable origine, du violoniste tchèque Johann Brodeczky mentionné par Dlabacž et enfin du violoncelliste pragois Matěj Václav Brodecž. C’est le lexicographe belge François-Joseph Fétis qui a fusionné les vies et les œuvres de ces trois musiciens, inventant ainsi une nouvelle figure − fictive − de l’histoire de la musique : Jean-Théodore Brodeczky, violoniste et claveciniste originaire de Bohême, censé avoir exercé en Allemagne avant de finalement s’installer à Bruxelles. Après avoir démêlé les fils des vies de ces trois musiciens, nous avons pu identifier correctement Thomas Brodsky comme l’auteur d’un recueil imprimé de sonates pour clavecin avec accompagnement de deux violons et violoncelle, op. 2, distribué à Paris (voir le catalogue). Nous laissons aux générations suivantes la tâche de découvrir la véritable origine et la destinée de cet organiste d’Eupen. Nous pensons au moins que sa musique trouvera bientôt son public. 

Josef
Kohaut

On n’a obtenu des informations sur l’activité parisienne d’un autre musicien au nom à sonorité tchèque, Joseph Kohaut [Josef Kohout] (1734-1777), qu’à partir des tirages parisiens de ses œuvres de chambre et de ses opéras-comiques et aussi à partir des critiques parues dans la presse. C’est à nouveau à cause de Fétis que ce luthiste né de parents tchèques à Vienne est devenu un trompette de l’armée autrichienne originaire de Bohême qui s’installa à Paris. Les encyclopédies musicales modernes ont incorporé cette biographie de Kohaut en partie inventée par Fétis et l’ont encore enrichie d’autres conclusions erronées, dont notamment sa naissance à Žatec [ville de Bohême du Nord-Ouest], qui excluait en même temps son lien de parenté, pourtant attesté dans les sources d’époque, avec un autre luthiste ayant longtemps exercé à Vienne, Karl Kohaut [Karel Kohout]. La véritable origine de Joseph Kohaut a pu être découverte grâce aux archives des notaires parisiens et aux registres paroissiaux de Vienne. Or nous avons connaissance de son destin de musicien avant son installation à Paris uniquement par des sources tout à fait exceptionnelles – il s’agit de lettres manuscrites de Joseph (voir le catalogue) qui documentent son engagement au service du prince lituanien Radziwiłł et notamment son voyage à travers l’Italie du Nord, où il rechercha un nouvel emploi avant de s’installer durablement à Paris en 1762 au plus tard. 

Josef Kohaut. Trios n° 1-3 pour le clavecin, la harpe ou le luth avec accompagnement d’un violon et la basse. Trio n° 1 en do majeur : I. Allegro moderato, II. Menuet, Mineur, III. Presto. Trio n° 2 en si bémol majeur : I. Allegro moderato, II. Menuet, Mineur, III. Allegro. Trio n° 3 en mi majeur : I. Allegro, II. Musette (Lent), Mineur, III. Presto. Trio Unitas : Petra Matějová (forte-piano), Magdaléna Malá (violon), Helena Matyášová (violoncelle). Festival Baroko 2025, Olomouc, 4 juin 2025.

Lettre de Joseph Kohaut au prince Hieronim Florian Radziwiłł

Lettre de Joseph Kohaut au prince Hieronim Florian Radziwiłł. Gênes, 5 janvier 1760. Warszawa, Archiwum glówne akt dáwnych, cote 1/354/0/5/6987, fol. 4-10. (© Archiwum glówne akt dáwnych, Warszawa)

Wenceslas
Schobert

Mais parfois, ce sont des documents d’archives apparemment insoupçonnables qui induisent les chercheurs en erreur. Ainsi, le claveciniste du prince de Conti, Wenceslas Schobert (1733-1767), compositeur admiré de Mozart et bien connu pour avoir été victime, avec sa famille et des amis, de son goût immodéré pour les champignons, n’avait-il retrouvé un prénom qu’avec la découverte en 1906 de l’extrait baptistaire de son fils cadet. Il était ainsi devenu Johann Schobert, né pensait-on en Silésie à une date incertaine. Las ! Le prêtre qui avait rédigé l’acte avait indiqué un prénom erroné. Aussi sommes-nous fiers d’avoir, grâce à d’autres documents d’archives mis au jour en 2024, rendu à ce compositeur de valeur sa véritable identité et à la Bohême un de ses enfants : il est en effet né à Kouřim le 1er septembre 1733, sous le nom de Václav Michael Schubert.

Schobert
Schobert
Requête de Jean Joseph Schobert, « citoyen et consul de la ville de Cutimen dans le royaume de Bohême » à la Chambre du Domaine et sentence rendue en sa faveur, 19-23 décembre 1767. Archives nationales, Paris, Z/1f/827. (© Archives nationales, Paris)

Inventaire après décès de « Winceslas Schobert, musicien étranger de nation », 14 septembre 1767. Archives nationales, Paris, MC/ET∕LXXIII/895. (© Archives nationales, Paris) 

Wenceslas Schobert. Quatuor en mi bémol majeur, op. 7 no 1. Le Concerto Rococo : Jean-Patrice Brosse (clavecin), Nicolas Mazzoleni et Roberto Crisafulli (violons), Emmanuel Balsa (violoncelle)

Josef Janoušek

Les sources primaires, tant archivistiques que musicales, permettent de rectifier certaines erreurs manifestes, notamment en matière de biographie, mais dans d’autres cas leurs données contradictoires provoquent des incertitudes qu’il peut être difficile de résoudre, notamment en matière d’attribution des œuvres.

Ainsi, la BnF conserve une copie sur papier français d’un concerto pour violon attribué à « Ganauscheck ». Or, le même concerto figure sous le nom de « Janoussek » dans le catalogue de la bibliothèque musicale (perdue) des comtes Collalto à Brtnice u Jihlavy. Il s’agit donc de Josef Janoušek (1717-1750?), directeur de la musique du comte Pachta à Cítoliby de 1744 à 1749. D’autres sources du même concerto l’attribuent à Johann Georg Neruda (171. ?-1776), violoniste à la cour de Dresde, tandis que l’éditeur Breitkopf de Leipzig en vendait des copies manuscrites sous le nom de Johann Stamitz (1717-1757). L’attribution à Janoušek, qui figure à la fois dans le catalogue de la collection morave citée ci-dessus et dans un manuscrit copié en France, où le copiste n’avait aucune raison de restituer ou de substituer à un autre nom celui de ce compositeur autrement inconnu en France, paraît pour cette raison la plus vraisemblable, mais pourra difficilement être confirmée par des rapprochements stylistiques, ses autres œuvres ayant disparu.

Janousek
Janousek

Josef Janoušek. Concerto Ex a# a Violino Principale, Violino Primo, Violino Secondo, Violetta con Basso. Parties séparées manuscrites. Page de titre et début de la partie de violon solo. BnF, département de la Musique, D-6464. 
gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)

Johann Stamitz. Concerto pour violon en ut majeur. Camerata Bern, dir. Thomas Füri.
(℗ 1980 Polydor International GmbH, Hamburg)

Pour aller plus loin :

La Biographie universelle des musiciens et bibliographie générale de la musique de François-Joseph Fétis doit être utilisée avec beaucoup de méfiance, comme en témoignent les articles sur Joseph Kohaut et sur l’imaginaire Jean-Théodore Brodeczky.
Fétis resta d’une prudence inhabituelle à propos de Schobert, qui ne fut pourvu d’un prénom qu’en 1906, grâce aux spécialistes français de Mozart, Théodore de Wyzewa et Georges de Saint-Foix

Et les femmes ?

L’exposition est réalisée par

la Bibliothèque de Moravie et la Bibliothèque nationale de France

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© Bibliothèque de Moravie
© Bibliothèque nationale de France

Dernière mise  à jour le 23-10-2025